Nous n’aurons pas droit à un avenir ensemble

« J’ai un cancer rare : un sarcome des tissus mous, aussi rare qu’agressif, nommé MPNST, ou tumeur maligne des gaines nerveuses périphériques. La découverte de la maladie s’est faite, par hasard, à la suite d’un examen de résonance magnétique pour examiner une vieille blessure sportive au ventre. Après un mois à subir des tests, je me suis retrouvé au bloc opératoire, de toute urgence, pour retirer certains organes pris d’assaut, en partie ou en totalité, par la maladie. Puis, après deux mois de convalescence, j’ai débuté une chimiothérapie difficile, qui s’est avérée infructueuse après quelques mois.

C’est alors que les médecins ont remarqué des tâches sur mes poumons. Le verdict est tombé à l’automne 2017. Le cancer s’était déjà bien propagé et métastasé dans mes poumons. Maintenant, on parle de cancer généralisé… Or, comme c’est un cancer relativement rare, beaucoup de traitements sont encore expérimentaux et peu documentés en termes d’efficacité et de résultats.

Je suis donc, à présent, sous chimiothérapie par pilules qui servent, non pas à me guérir, mais bien à ralentir la progression de la maladie. Il est toujours difficile d’avancer des chiffres, puisque chaque cancer peut progresser de façon différente selon la personne et son état de santé, mais il serait surprenant que je sois encore en vie dans un an… Je l’accepte bien car je n’ai pas de regrets. J’ai passé 29 magnifiques années. J’ai fait plus de choses durant ces 29 années que certaines personnes dans toute une vie. Il est certain que je trouve cela bien dommage d’avoir une fin de vie si hâtive, mais c’est ainsi, et je compte bien profiter au maximum de mes derniers mois.

C’est surtout très difficile pour mon entourage, en particulier pour ma copine. Surtout à notre âge où nos amis parlent de mariage, de bébés, d’achat de maison, de carrière… Bref, d’avenir ensemble auquel nous, nous n’aurons pas le droit. J’essaie de la préparer au mieux à mon absence et au fait que je sais qu’elle arrivera très bien à continuer sa vie malgré mon absence. C’est une femme formidable qui a mon respect, mon admiration et tout mon amour. J’envie terriblement l’homme qui saura la rendre heureuse jusqu’à ses vieux jours. Mais pour le moment, elle ne conçoit pas l’avenir sans moi… J’espère surtout qu’elle ne tombera pas dans le vice de la comparaison lors de ses futures relations. Car il serait bien injuste pour tout futur conjoint de rivaliser avec ses souvenirs de moi. Souvenirs qu’elle aura inévitablement idéalisés avec les années qui passent. J’espère de tout cœur, qu’elle continuera à vivre pleinement sa vie sans moi.

Mes traitements actuels ont peu d’effets secondaires comparés à la chirurgie ou à la chimiothérapie intensive que j’ai reçue, mais leurs effets, ainsi que les effets accumulés des traitements précédents, sont quand même non négligeables. En fait, je me sens vieux. Je vis comme un retraité. Je jardine, je lis, je vois des ami(e)s, mais je ne peux pas réellement travailler. Ce sont mes parents qui me supportent financièrement. Mon corps est celui d’une personne qui semble vieillir en accéléré : mal aux articulations, fatigue, perte de mémoire, barbe et cheveux qui  blanchissent davantage chaque jour, problèmes gastriques, etc. J’essaie d’occuper mon temps au maximum et j’arrive même à faire de l’activité physique durant mes bonnes journées. Mais je ne fais pas de projets à long terme. Je vis au jour le jour, selon l’énergie que j’ai à ce moment-là. Je ne sais jamais comment je me sentirai demain et si je serai suffisamment en forme pour accomplir quoi que ce soit. Et je dois redécouvrir mes limites à chaque changement de dose ou nouveau médicament.

Malgré tout, je n’éprouve toujours pas le besoin de consulter un professionnel pour partager mes émotions, bien que j’encourage fortement toute personne qui en ressentirait le besoin. Je pense que savoir demander de l’aide lorsqu’on en a besoin est une force de caractère, pas une faiblesse. Je me sens encore relativement serein face à tout cela. Certains jours c’est plus difficile d’accepter qu’il n’y a plus d’espoir. Même pour mes traitements actuels, les médecins ne savent pas vraiment s’ils vont réellement prolonger mon espérance de vie. Pour le moment, mon corps les tolère bien alors je vais continuer à suivre les traitements tant qu’il y a une chance qu’ils me permettent de gagner du temps auprès de ceux que j’aime et que les effets secondaires restent tolérables.

Quand les tumeurs se mettront à croître de façon exponentielle et que la maladie progressera hors de contrôle, je ne sais pas encore si je me tournerai vers l’aide médicale à mourir. Tout dépendra du seuil de douleur que je trouverai tolérable lors des soins palliatifs. Pour le moment, mon médecin n’a pas le droit d’aborder la question tant que je n’en fais pas officiellement la demande, et il m’assure qu’il est beaucoup trop tôt pour aborder le sujet. Mais quand le temps sera venu, il se peut que j’en fasse la demande, auquel cas, je sais que je pourrai changer d’avis en tout temps. J’en ai également déjà parlé à mon entourage. Ils comprennent et respecteront ma décision si tel est le cas…

Mathieu d’Amours, 29 ans
Montréal

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